Visiteurs à Perpignan |
Visiteurs à Perpignan Jean-Louis ROURE nous a communiqué ces extraits
Un académicien amoureux de Perpignan :
Louis Bertrand (1866 - 1941)
Il n’était ni catalan ni roussillonnais... Il venait souvent à Perpignan, il était né à Sincourt (Meuse) en 1866, il est mort à Cap d'Antibes en 1941.Dreyfusard il évolue vers la droite et se converti au catholicisme. Il était de 1888 à 1900 un historien universitaire admirateur inconditionnel de Louis XIV et un théologien historien spécialiste de Saint Augustin à qui il consacra un énorme ouvrage. Il fut professeur, lui ancien élève de Normale Supérieure, à Aix, Bourg-en Bresse et au grand lycée d’Alger de 1891 à 1900. À cause de sa désinvolture il fut déplacé à Montpellier en 1901 et démissionna bientôt pour se consacrer à la littérature .
Il voyage beaucoup en Afrique du Nord et en Orient méditerranéen ce qui a nourri une partie importante de son œuvre.
Il entre à l'Académie Française en 1925 au fauteuil d'un autre Lorrain Maurice Barrès. Il a laissé 14 romans. Il écrivit également des biographies historiques, outre celle de Saint Augustin, sur Thérèse d'Avila, il étudia aussi les Vierges noires, en particulier N. D. de Font Romeu où il est venu plusieurs fois. Il était très proche de Mgr Carsalade Dupont évêque d'Elne et de Perpignan, mainteneur de la tradition catalane à qui il a dédicacé "L’Infante ". Il explique dans un prologue de 20 pages, écrit à Nice en 1919, que le matin de septembre 1918, « jour de la fête de la nativité » après une longue traversée « tout ce long corridor de roches qui mène de Villefranche-de-Conflent puis de Corneilla-de- Conflent à Vernet » il décrit ce qu'il voit, les mineurs en espadrilles qui vont au travail, les bennes qui portent le minerai, les câbles de fer, Vernet, les prairies mouillées de Castell, « et le sentier taillé dans le roc par où l'on grimpe au monastère... » Il entendit les cloches qui « fidèles sonnaient aujourd'hui pour la fuite du Germain... » C'était la fin de la guerre. C'est dans la fin de cette journée que l'évêque lui parla de Inès de Llar, cette jeune fille de Villefranche qui, par amour pour un officier français trahit, dit-on, son père, sa mère, et tous les siens avec leurs amis et leurs proches qui avaient formé le complot de livrer la place aux Espagnols. Ce drame d'amour et de sang se passa en 1674, au lendemain de l'annexion du Roussillon et de la Cerdagne à la France. L'évêque avait de la sympathie pour cette tout jeune enfant de 18 ans, victime de l'amour et de la guerre. Louis Bertrand était un grand admirateur de Gustave Flaubert (disait lui-même qu'il en pratiquait parfois le style) et sa nièce Caroline Commanville lui communiqué et lui lègue les archives en 1931 . Œuvre de Louis Bertrand
On la partage en trois parties :
-le cycle africain 9 romans,
-le cycle de la Méditerranée 8 livres, -la terre natale 3 romans Son premier ouvrage romanesque "Le sang des races " en 1899 fut suivi d'un autre "La Cina "en 1901 . Les deux livres portent sur l'Algérie « Française » et les splendeurs de la colonisation, l'implication nécessaire et utile de l'Église catholique dans une rechristianisation qui doit ou devrait accompagner la colonisation assimilatrice de l'ensemble maghrébin dans une migration générale pour les peuples nord-méditerranéens en privilégiant la France chrétienne bien sûr au même titre que la migration espagnole et italienne à condition qu'elle soit chrétienne. L'Église catholique jouant un rôle civilisateur chargé de concurrencer l'islam religieux des Berbères, Kabyles, et autres Arabes qui, selon les partis pris historiques de l'auteur, n'étaient pour la religion islamique que par les effets de la conquête arabe et de la force militaire. Rappelons que l'auteur est un grand admirateur et laudateur de Saint Augustin auquel il a consacré trois livres : "Saint Augustin "chez Fayard en 1913, également "Les plus belles pages de Saint Augustin "en 1916 , enfin chez le même éditeur "Autour de Saint Augustin" en 1921. On saisit bien que l'auteur catholique fervent est aussi un historien aux thèses très spéciales et politiquement très proches de la droite extrême (ce qui l'amènera des années plus tard à exprimer sa sympathie pour l'Allemagne nazi, "Hitler", Éd. Fayard, 1936. La colonisation française de l'Algérie était, à ses yeux, un modèle, un exemple remarquable. Maltais. Le monde méditerranéen retrouvait sa terre et Carthage retrouvait son rôle de seconde capitale du monde catholique... Saint Augustin était de retour.
Louis Bertrand a tellement par ses écrits défendu la thèse de la colonisation heureuse et d'un Islam qui ne représentait qu'un masque dans l'attente d'un renouveau chrétien, et cette thèse a tellement imprégné les « Pieds Noirs » après l'émigration inversée de 1962, que la collection « l'Algérie Heureuse » des éditions Tchou reprit le texte de L. Bertrand dans un tirage spécial en édition de grand luxe ; de même un tirage très illustré en grand format du Centre français d'édition et de diffusion chez Robert Laffont en 1978. Méditerranéen, Louis Bertrand l'est sans aucun doute. Dans deux autres livres "le Livre de la Méditerranée", dans son édition définitive chez Plon en 1923, et "Les grands aspects du paysage français "chez Delpeuch en 1928, il consacre une partie importante du premier à l’éloge dithyrambique de la ville de Perpignan considérée comme une beauté sans égale du monde méditerranéen, et une autre tout aussi laudative dans le second livre, au Roussillon, à la ville de Perpignan, à la Cerdagne, et la Vierge de Font Romeu pour laquelle il fait encore autorité sur le plan historique descriptif des vierges noires cerdanes. Il y a peu d'auteurs et pour ainsi dire il est presque unique à avoir consacré plus de cent lignes de texte à la seule ville de Perpignan.
Notons qu'il a également écrit un roman historique concernant un personnage célèbre, sorte de bandit d'honneur "Cardenio. L'homme aux rubans couleur de feu " qui intéresse l'Espagne navarraise chez Ollendorf en 1922. Extraits de Louis Bertrand, Le livre de la Méditerranée, librairie Plon, 1923, p. 26 à 31 Il ne faudrait pas aller d’un trait de Cette 1 à Barcelone. […] il y a une étape préparatoire : Perpignan forme la transition. Je le confesse la seule chose qui me déplaise dans cette charmante ville, peut-être la plus originale de France, c’est son nom qui évoque des consonances fâcheuses. Je voudrais le voir orthographié à la catalane : Perpinyan comme on l’écrivait autrefois, et comme on l’écrit encore aujourd’hui au-delà, des Monts. Mais elle m’a toujours enchanté parce que elle est restée elle-même, qu’elle a gardé sa physionomie ancienne, parce qu’elle offre des types, des costumes, une façon de vivre qui ne se rencontrent que là. Perpignan est active et commerciale. Du matin au soir, elle retentit du vacarme de ses chariots qui véhiculent ses vins, des coups sonores de marteau tapant sur ses foudres 2. Malgré l’opiniâtreté de son labeur et le sérieux de son caractère, elle est gaie, d’une gaieté épanouie, toujours égale, qui est bien moins une expansion brusque d’humeur, qu’une manière d’être. Et cette gaieté a produit les mœurs les plus pittoresques qui soient chez nous. Perpignan est la ville des muletiers et des gitanes, des espadrilles et des guitares, des diligences bariolées et des harnais éclatants. Elle est sensuelle et paradeuse. On y a le goût du plaisir. Je ne connais que deux villes en France qui aient une vie nocturne : Paris et Perpignan. Même à Marseille, passé dix heures, la Canebière est un désert. À cette heure-là, Perpignan se promène sous les platanes de ses promenades et, jusqu’à minuit, elle est attablée dans ses cercles et dans ses cafés.
Et puis enfin Perpignan la Place de la Loge,- un des endroits du monde les plus bizarres et des plus captivants que j’ai traversé : une rue plutôt qu’une place, un carrefour triangulaire, où se concentre chaque soir l’animation de la ville. On s’y installe comme au théâtre, devant un décor de Carmen ou de Barbier de Séville. La toile de fond est formée par la Loge elle-même, l’ancienne Bourse des marchands, avec ses ogives, ses trèfles, ses balustres découpés à jour. Venise elle-même ne montre rien de plus parfait que ce joyau d’architecture hispano-mauresque. Sous l’éclairage factice des lampes électriques, dans le bleuissement de la pénombre, l’illusion d’un décor de comédie est complète. On regarde défiler les figurants de la pièce qui doit se jouer, en face, sous les arceaux violemment éclairés de la Loge :et c’est le contrebandier espagnol avec ses alpargates 3 d’aloès, sa taillole4 bourrée comme une cartouchière et sa couverture sordide pliée sur l’épaule. Ce sont les gens du pays, balançant au rythme de la marche, leurs courtes blouses aux plis nombreux et aux chamarres naïvement compliquées ; puis se déhanchant comme des Andalouses, les jolies filles aux cheveux ondulés sous la coiffe de dentelle, en jupe courte et souliers décolletés ; puis les mères toutes vêtues de noir, figures archaïques, qui sous la mantille et même le fichu populaire, conservent quelque chose de la dignité castillane… Mais il n’y a pas que cette étrange place à Perpignan. Sans doute la vieille cité roussillonnaise, resserrée jusqu’ici dans son enceinte à la Vauban, n’a point à l’exception de la Loge, de très beaux édifices. Et pourtant sa cathédrale s’impose à l’attention, avec son immense nef unique, son retable et ses triptyques, ses tombeaux d’évêques, son clocher en ferronnerie ouvragée, où les cloches se balancent en l’air comme dans une cage fleurie.
[…] Je sais à Perpignan, une simple placette avec une fontaine ombragé d’un platane, tel coin de rue que surplombe sous un échevèlement de glycine ou de vignes vierges, le pignon roussi d’un ancien hôtel, telle venelle montante – qui vous oblige à vous arrêter subitement comme devant une vision d’art imprévue. Mais surtout Perpignan a le rose ensoleillé de ses briques, non pas seulement son Castillet, ce groupe de tours médiévales qu’on a détaché de ses anciens remparts 5, mais une foule de maisons particulières et jusqu’à des ruelles saupoudrées de poussière argileuse et qui éclatent comme des corridors sablés de corail entre les durs cailloux de la bordure et les crudités splendides des légumes entassés au seuil des échoppes. Il y a aussi les églises – des églises qui sans être extraordinaires, ont néanmoins un charme : Saint-Jacques, Saint-Martin – Santa Maria la Real, que j’aimais avant de l’avoir vue, à cause des sonorités tolédanes de son nom ! Sanctuaires ombreux et frais, où, dans une pénombre inquiétante, reluisent les dorures de reliquaires extravagants et monstrueux, où des madones pleureuses étalent au pied de la croix leurs robes de brocard plastronnées d’une étoile de glaives à la hauteur du corsage ! où d’autres épongent leurs beaux yeux avec un mouchoir de dentelles soutenu par une petite main chargée de bagues. On y voit encore des Christ au Tombeau entouré des Apôtres. Le Corps divin repose sur un vrai lit, sous une courtepointe tuyautée. La chevelure naturelle du Crucifié répand ses papillotes sur la blancheur fraichement repassée d’un oreiller de batiste. Cette literie, ces cheveux, cette face livide, c’est effrayant comme la rencontre brusque d’un cadavre. On sort, dans le grand soleil de la rue : une affiche en couleur annonce une course de taureaux pour le prochain dimanche. On va plus loin vers les quartiers populaires. Des vendangeurs coiffes du bonnet national sont assis à la devanture des cabarets. Les mulets des attelages secouent les pompons rouges de leurs colliers et les résilles flottantes de leur chasse-mouches… Si nous ne sommes pas précisément en Espagne, nous voilà il me semble dans une Catalogne déjà suffisamment pour que l’autre, celle au-delà des Pyrénées nous soit un peu moins étrangère.
Notes 1 L'orthographe officielle de la ville de Sète est adoptée définitivement par arrêté ministériel en 1927, car la graphie « Cette » était jugée équivoque. Cependant, le conseil municipal avait déjà tenté d'officialiser la forme "Sète" dès 1793. Sous l'ancien régime, on écrivait indifféremment Sette, Septe, Cète, ou Cept
2 Foudre : Tonneau de très grande capacité (autour de 1000 litres). ... Récipient en bois, souvent en chêne, d'une contenance de 50 à 500 hectolitres.
3 Alpargate : espadrille des paysans espagnols Chaussures faites de joncs, de cordes tressées, de toile, etc.
4 Taillole : (Provence, Catalogne). Ceinture, le plus souvent en laine rouge, enroulée plusieurs fois autour de la taille et servant à retenir le pantalon. 5 Les anciens remparts. En 1904 débute la rapide et spectaculaire destruction des remparts nord. Entre le viaduc de la porte de Canet et celui de la porte Saint-Martin, les démolisseurs ouvrent de larges brèches simultanément en plusieurs points. Le bastion du Castillet, pourtant classé monument historique n'est pas épargné.
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